Si Plantu a cessé de plancher pour le quotidien Le Monde, sa retraite ne doit pas signer la fin d’une belle époque en Europe : celle de la liberté de caricaturer.
Timide à la voix douce mais observateur au coup de crayon féroce. « Mon métier, c’est l’art du dérapage contrôlé » déclarait Plantu dans Vanity Fair. Après un demi siècle au Monde, le célèbre dessinateur a publié sa dernière œuvre dans ce journal, le 31 mars. On y retrouve ses colombes, sa souris fétiche et Macron a son bureau, la tête entre les mains ; visiblement en pleine jaunisse, avant son intervention télévisée.
Plantu ou la passion du 9ème art
Pour Plantu, de son vrai nom Jean Plantureux, tout a commencé ce jour de 1972 où il a poussé la porte de l’immeuble du Monde, dans l’espoir de rencontrer un journaliste, de montrer ses dessins. Vendeur aux Galeries Lafayette le jour, dessinateur la nuit : trois mois plus tard, il voyait sa première illustration publiée, sur la fin de la guerre du Vietnam. « Payé ! C’est ça qui est le plus dingue. Payé pour avoir du plaisir. Quand je faisais le zigoto à la maison, mon père disait : « Arrête de faire l’artiste. » » relate-t-il dans le Monde. Alors inscrit à la fac de médecine par ses parents, il n’avait pas hésité à larguer les amarres, contre vents et marées, cap sur la seule école de BD en Europe, à Bruxelles, capitale du 9ème art.
La suite, on la connaît. Plantu a signé plus de 30 000 dessins en brossant l’actualité politique et sociale dans tous les sens du poil : de l’Oncle Sam qui vacille sur deux jambes en forme de tours au lendemain de l’attentat du World Trade Center à cette tête composée de lignes qui répètent à l’infini « Je ne dois pas dessiner le prophète Mahomet. »
Plantu tournant la page, le dessin de la Une du Monde sera confié à Cartooning for Peace, un collectif qu’il a co-fondé avec Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations Unies, pour défendre les droits des dessinateurs de presse à travers le monde. Cependant, sa relève est bien moins assurée qu’il n’y paraît. En 1970, on dénombrait 117 caricaturistes vivant exclusivement de leur art dans les journaux. Cinquante ans plus tard, il en reste une vingtaine. Et l’espace que la presse leur réserve, se voit gommé lentement mais sûrement.
Danger pour le dessin de presse européen
En 2019, le New York Times a renoncé aux dessins dans ses pages, pour éviter toute polémique suite à la publication d’un croquis jugé antisémite. En France, Xavier Gorce a claqué récemment la porte du Monde après la mise en cause de l’une de ses caricatures abordant l’inceste et la transidentité. Et pas plus tard que dimanche dernier, des internautes se sont interrogé sur la non-parution dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, d’un dessin de Yannick Lefrançois au sujet du projet de mosquée à Strasbourg, pendant qu’en Turquie, des journalistes de Charlie Hebdo se voyaient inculpés pour insulte à Erdogan après la publication d’une caricature du président turc.
Moins de liberté d’expression. Plus d’autocensure. L’avenir des dessinateurs éditorialistes va-t-il être rayé d’un coup de crayon pusillanime par nos sociétés européennes, contaminées par le politiquement correct, gangrénées par la pensée unique et vérolées par la cancel culture ?
Le droit de dessiner librement
Certains veulent même la peau de nos caricaturistes. Il y a quinze ans, le quotidien danois Jyllands-Posten publiait des illustrations du prophète Mahomet, entraînant des manifestations dans une partie du monde musulman. Depuis, ce journal a été la cible de plusieurs tentatives d’attentat. L’un des dessinateurs, Kurt Westergaard, a failli être assassiné à trois reprises chez lui, la dernière fois à la hache.
A cause d’une caricature du prophète, Cabu et d’autres talents sont morts, dans l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015.
Nul ne doit risquer sa vie pour un dessin. Mais nul ne doit laisser des fanatiques religieux ou des ayatollah de la bien-pensance appeler à tuer un homme ou à démolir une carrière pour un dessin. Comme son étymologie l’indique, la caricature est une charge. Expression d’un regard critique, elle force le trait, ignore la fadeur, le compromis, voire le bon goût, pour choquer, émouvoir, faire réfléchir.
Cet art vieux comme le monde mérite un futur ; qu’on lui donne des ailes pour mieux nous voler dans les plumes. Les ailes des colombes de Plantu, symboles de paix et de liberté.